C’est le jeu d’alliances opposant deux blocs antagonistes en Europe qui a conduit à la Première Guerre mondiale.
Tous les pays européens avaient condamné l’assassinat, àSarajevo, le 28 juin 1914, du prince héritier d’Autriche-Hongrie et de son épouse. Un mois et trois jours plus tard, ils entrent pourtant en guerre.
Par un jeu d’alliances qui oppose deux blocs: la Triple Entente unit la France, la Russie, et le Royaume-Uni; la Triplice est formée par l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie, et l’Italie.
C’est ce jeu d’alliances qui précipite le conflit: décidée à ne pas laisser impuni l’assassinat de son futur empereur, l’Autriche-Hongrie, soutenue par l’Allemagne, a adressé à la Serbie un ultimatum inacceptable. Car l’assassin et les conspirateurs présents à Sarajevo le 28 juin sont serbes. Et c’est en Serbie que l’attentat a été préparé.
Sortie agrandie des guerres qui ont déchiré les Balkans en 1912 et en 1913, la Serbie a des ambitions d’expansion.La Bosnie-Herzégovine, annexée de force par l’Autriche-Hongrie en 1908, attise ses convoitises. Dès 1913, avec le soutien de la Russie et de la France, tout autant prêtes à la guerre, la Serbie est résolue à la violence pour arriver à ses fins, juge l’historien australien Christoph Clarke dans son dernier ouvrage (Les Somnambules).
D’où l’engrenage fatal: quand l’Autriche-Hongrie mobilise ses troupes contre la Serbie, la Russie décrète une mobilisation contre l’Autriche-Hongrie.L’Allemagne, dès lors, mobilise contre la Russie, et la France contre l’Allemagne. Le 1er août, cette dernière déclare la guerre à la Russie; puis à la France, deux jours plus tard. L’Angleterre entre en guerre contre l’Allemagne le 4, après la violation de la neutralité de la Belgique par l’Empire allemand. Le 6, l’Autriche-Hongrie, qui a entamé les hostilités contre la Serbie, déclare la guerre à la Russie; et la France lui rend la pareille le 11. Le jeu de massacre est lancé.
«L’Allemagne et ses alliés en sont responsables», énoncera le traité de Versailles qui clôt le conflit, en 1919. Jugement de vainqueurs ? Aujourd’hui, Christoph Clarke incrimine la Serbie, la Russie et la France…
« Thèse intéressante, mais, à mon sens, c’est une révision de l’histoire d’événements dont l’explication n’est pas simple », réplique Sophie De Schaepdrijver, spécialiste belge du premier conflit mondial. «La responsabilité de l’Allemagne reste très grande» poursuit la professeure d’Histoire contemporaine à l’université de Pennsylvanie : «à plusieurs moments dans cette crise, c’est Berlin qui décide si on va de l’avant ou non». L’empire allemand avait préparé de longue date cette guerre.
«L’Allemagne était la plus grande puissance militaire au monde; les États-Unis n’avaient qu’une toute petite armée», rappelle Sophie De Schaepdrijver. Et L’Europe dominait la scène mondiale : le conflit sera donc mondial. On se bat en Afrique, entre puissances coloniales. Et des soldats africains combattent en Europe, « appelés par la France, en raison de son handicap démographique par rapport à l’Allemagne. »
L’entrée en guerre des États-Unis, en 1917, sera décisive.
Motivée par le torpillage du paquebot « Lusitania», en 1915, et par de maladroites manœuvres allemandes pour inciter le Mexique à leur faire la guerre «Mais, malgré un fort courant isolationniste, les États-Unis avaient déjà choisi le camp des alliés, qu’ils soutenaient massivement», rappelle Sophie De Schaepdrijver.
Philippe LERUTH
Au fil de la progression des troupes allemandes, en août et en septembre 1914, près de cinq mille civils belges sont délibérément tués.
« Ce qui s’est passé il y a cent ans ne relevait pas des combats : c’était une politique délibérée de terreur» , explique le bourgmestre de Louvain, Louis Tobback dans son livre consacré au martyre, subi en août et en septembre 1914, par la cité universitaire et plus d’une centaine de bourgades et de villages belges.
Le décompte, établi par John Horne et Alan Kramer dans leur ouvrage de référence, des Atrocités allemandes est effarant : 4 455 hommes, femmes, enfants, et vieillards massacrés, au fil de la progression des troupes impériales enBelgique.Et encore : les deux historiens duTrinity College de Dublin ont limité leur recensement aux «incidents» qui ont coûté la vie à plus de dix civils.
«Les Allemands ont invoqué la présence de francs-tireurs.Peut-être, dans leur esprit, la Belgique tout entière était-elle un franc-tireur, parce qu’elle osait leur résister», avance Sophie De Schaepdrijver.
«Les Allemands s’étaient attendus à une promenade de santé à travers la Belgique, et quand on a tiré sur eux, ils n’ont pas pu s’imaginer que c’étaient des soldats belges qui les visaient», confirme Alan Kramer.
D’où, peut-être, la légende des «francs-tireurs» que l’armée invoquera, dès août 1914, pour justifier les massacres de civils belges, accusés d’avoir fait feu contre ses soldats, au mépris des lois de la guerre.
«Dans certains cas, les Allemands ont pu croire sincèrement que des francs-tireurs les avaient attaqués.Car le mythe des francs-tireurs qui avaient combattu les Prussiens en France, en 1870, était très vivant au sein de l’armée impériale» , concède l’historien irlandais.
L’alcool jouera également un rôle : «Il faisait très chaud en août 1914, et les soldats allemands ne voulaient pas boire d’eau, car ils craignaient qu’elle soit empoisonnée.Beaucoup se sont saoulés.Plus d’une fois, dans leur ivresse, ils ont tiré les uns sur les autres. Mais à chaque fois, on a accusé de prétendus francs-tireurs».
Dans certains cas, accuse Alan Kramer, c’est pourtant délibérément que les soldats du Kaiser ont massacré des civils désarmés : «je pense notamment aux 127 personnes fusillées devant le “ mur Tschoffen ” ou aux personnes fusillées dans le quartiers des Rivages, à Dinant, dont les ils savaient pertinemment bien qu’elles n’étaient pas armées.Les officiers qui commandaient le tir étaient parfaitement conscients du fait qu’ils faisaient tuer des civils innocents. Dans le but de terroriser la population».
«L’impact sur l’opinion publique a d’ailleurs été aussi considérable en 1914 que le massacre de 1944 dans la région de Limoges, révèle l'historien.En particulier, s’agissant de Louvain, le massacre de civils et l’incendie de la bibliothèque universitaire ont créé un véritable traumatisme en Belgique et dans le monde».
Car ces massacres, relève Alan Kramer, «alimenteront de manière exceptionnelle la propagande alliée dans les pays neutres : le martyre des civils et l’incendie de l’université de Louvain susciteront pour la Belgique un élan de sympathie et de solidarité dans le monde entier».
Les massacres de civils s’arrêteront à l’automne 1914,«quand les tranchées apparaissent : ils étaient surtout liés à la guerre de mouvement.Mais je pense aussi que même s’il n’y a pas eu de contre-ordre formel, les Allemands s’étaient rendu compte de l’effet catastrophique de ces massacres sur l’image de leur armée».
Philippe LERUTH
La chute de quatre grands empires force les négociateurs de Versailles à redessiner la carte de l’Europe et du monde, après la Première Guerre mondiale. La Belgique s’agrandit ainsi de trois cantons, dont ceux de l’actuelle Communauté germanophone.
Quatre grands empires sont emportés dans le séisme de la Première Guerre mondiale : l’Empire russe, balayé par la double révolution de février puis d’octobre 1917 ; l’Empire austro-hongrois, qui explose sous la pression nationaliste des divers peuples qui le composaient ; l’Empire turc, amputé de tous ses territoires du Proche-Orient, et secoué par la rébellion des Jeunes-Turcs ; et l’Empire allemand qui s’effondre à Spa, le 9 novembre 1918.
Les participants à la Conférence de paix, qui s’ouvre à Versailles le 18 janvier 1919, sont donc confrontés à une tâche considérable : redessiner les cartes de l’Europe et du monde. Et les Allemands n’ont pas voix au chapitre.
Les vainqueurs de 1918 n’abordent pas la conférence avec une vision identique rappellent les historiens Catherine Lanneau et Philippe Raxhon.
« Les Anglo-Saxons, qui n’ont pas connu la guerre sur leur territoire, se veulent (relativement) conciliants ; Français, et Belges, veulent que l’Allemagne soit désignée comme responsable du conflit », rappelle Philippe Raxhon. Certains milieux belges nourrissent de grands appétits au début de la conférence : « Ils veulent que la Belgique récupère tous les territoires “ belges ” à un moment de leur Histoire », signale Philippe Raxhon. Des cartes désignent les zones concernées : le grand-duché de Luxembourg ; le Limbourg néerlandais ; la rive gauche de l’Escaut.
« Au plus niveau de l’État, et notamment dans le chef du roi Albert Ier, on ne souscrit pas à ces revendications », précise l’historien liégeois. « D’ailleurs, les Belges ne seront pas associés à la commission qui décidera de rattacher à la Belgique les cantons d’Eupen, de Malmedy et de Saint-Vith. »
Le traité, signé le 28 juin 1919, cinq ans jour pour jour après l’attentat de Sarajevo, entérine des changements bien plus importants en Europe et au Proche-Orient : des pays comme la Tchécoslovaquie, la Pologne, l’Ukraine, les pays Baltes, la Yougoslavie, l’Irak, l’Arabie saoudite voient le jour ; l’Alsace-Lorraine redevient française…
Tout cela au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? « Le principe avait été posé en 1789, indique Philippe Raxhon, mais le Traité de Versailles est peut-être la dernière manifestation de la diplomatie du XIXe siècle, qui réglait le sort des populations sans leur demander leur avis. Et sans se préoccuper des minorités, auxquelles nous sommes aujourd’hui très attentifs. »
Certains de ces pays ont depuis lors éclaté ou disparu. Et le Traité de Versailles a, dès le départ, été vilipendé en Allemagne : le régime nazi s’est en partie construit sur le rejet du « Diktat ».
« La remise en cause du Traité de Versailles en Allemagne est surtout née du rejet de la république par les élites allemandes qui n’ont jamais accepté le régime démocratique » relève Catherine Lanneau.
Les circonstances surtout ont eu raison du traité. Car après une période de forte tension – Belges et Français occupent la Ruhr, en 1923, parce que l’Allemagne ne paie pas assez vite à leur goût leur dette de guerre – l’heure est à la détente, à la réconciliation et au pacifisme. Le Traité de Locarno en 1925 réintègre l’Allemagne, dont la dette est rééchelonnée, dans le concert des nations.
La crise financière de 1929 sera fatale à l’édifice : plongée dans la misère, l’Allemagne se tourne vers le nazisme. Tandis que la Société des Nations (SDN), l’ancêtre de l’ONU, se montre incapable de régler les conflits par la conciliation. Voulue par le président américain Woodrow Wilson, elle avait été sérieusement ébranlée dès le départ, quand les États-Unis avaient refusé de ratifier le Traité de Versailles, dont il avait été un des principaux artisans.
Philippe LERUTH