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Harvey Weinstein

Victimes, enjeux et dates clés du procès Weinstein:
le maître de Hollywood risque la perpétuité

Pour mieux comprendre, voici nos fiches récapitulatives.

Harvey Weinstein

visionnaire devenu ennemi numéro 1 du #MeToo

Il était un producteur de cinéma visionnaire, faiseur d'Oscars, donateur du parti démocrate. Depuis octobre 2017, Harvey Weinstein est un paria, incarnation du prédateur sexuel et catalyseur du mouvement #MeToo.

L'accession au gotha d'Hollywood de ce fils d'un diamantaire new-yorkais avait pris des années, sa chute s'est faite en quelques jours: en octobre 2017, le New York Times et le New Yorker publient les témoignages de femmes, actrices ou mannequins pour la plupart, accusant le producteur de les avoir agressées sexuellement, puis de les avoir parfois payées pour se taire.

Harvey Weinstein, 67 ans, marié deux fois et père de cinq enfants, a eu beau maintenir que ses relations étaient toutes consenties, le #MeToo était né: ce mouvement a dénoncé les abus sexuels présumés de centaines d'hommes de pouvoir.

Celui qui était la coqueluche des festivals du 7e art est banni de l'Académie du cinéma qui remet les Oscars. Les plaintes contre lui au civil se multiplient.
Le 25 mai 2018, il est inculpé à New York. Les images du producteur menotté font le tour du monde. En liberté surveillée moyennant une lourde caution et le port d'un bracelet électronique, il s'est rarement exprimé publiquement depuis.
Dans une interview au New York Post mi-décembre, il n'exprimait aucun remord et se plaignait qu'on ait oublié sa brillante carrière: "j'ai fait plus de films réalisés par des femmes et sur des femmes que n'importe quel producteur (...) J'étais le premier! J'étais le pionnier!"

Physiquement, il semble affaibli, arrivant en déambulateur pour une récente audience au tribunal. Après une opération du dos en décembre, consécutive à un accident de voiture en août selon ses avocats, il a assuré qu'il serait d'aplomb pour son procès.

L'ex-producteur habite désormais loin des caméras: il loue une maison dans une banlieue chic de New York, pour être proche de ses plus jeunes enfants.
S'il se rend souvent à Manhattan, ses sorties sont risquées: fin octobre, plusieurs femmes l'ont pris à partie dans un bar, le traitant de "violeur" et de "monstre", avant d'être expulsées.

80 victimes

et un témoignage capital

Lauren De Vreese

Plus de 80 femmes, dont des célébrités comme Ashley Judd, Angelina Jolie, Salma Hayek ou Léa Seydoux l'ont accusé de harcèlement ou d'agressions allant du baiser forcé au viol, à New York, Los Angeles, Cannes, Paris, Londres ou Toronto, sur plus de trois décennies. Plus d'une trentaine de femmes ont porté plainte contre lui devant des tribunaux civils. Deux seulement sont à l'origine de son inculpation au pénal car les faits sont souvent anciens, prescrits et difficiles à étayer.

Mimi Haleyi:

C'est l'une des deux seules victimes présumées de Harvey Weinstein dont l'agression a donné lieu à des poursuites pénales. Cette ancienne assistante de production affirme que l'accusé lui a imposé un cunnilingus dans son appartement à New York en juillet 2006, bien qu'elle ait refusé plusieurs fois ses avances. "C'était totalement non consensuel", a déclaré sur MSNBC Miriam Haleyi, de son nom complet, rappelant qu'elle avait ses règles au moment de l'incident. "Il n'y a pas moyen que j'aie voulu ce qui s'est passé".

La seconde victime qui vaut à Harvey Weinstein un procès pénal est restée anonyme: elle accuse le New-Yorkais de l'avoir violée, en mars 2013, dans une chambre d'hôtel. La défense a déjà produit une série de correspondances montrant, selon elle, que cette femme a eu une relation amoureuse suivie avec son agresseur présumé durant plusieurs années après les faits allégués.

Annabella Sciorra:

l'actrice vue dans la série "Les Soprano" affirme également avoir été violée par Harvey Weinstein en 1993, chez elle, après qu'il l'eut contrainte à le laisser entrer. Si elle n'a révélé l'agression que fin octobre 2017, elle affirme que le producteur a tout fait pour l'empêcher de décrocher des rôles entre 1993 et 1995. Les faits dont elle dit avoir été victime ne sont pas poursuivis dans ce procès. Mais son témoignage est capital pour l'accusation, qui espère prouver qu'Harvey Weinstein s'est rendu coupable de comportement de "prédateur sexuel" en agressant une série de femmes. S'il était condamné pour ce chef, il risquerait la perpétuité.

Trois autres victimes présumées pourraient témoigner: le juge James Burke a autorisé le témoignage de trois femmes supplémentaires dont l'identité n'est pas connue. Une dit avoir été violée par Harvey Weinstein à Beverly Hills en 2013. La nature exacte des deux autres incidents, intervenus en 2004 et 2005, n'est pas connue. Tout comme pour Annabella Sciorra, Harvey Weinstein n'est pas poursuivi pour les faits allégués par ces trois femmes. Elles ne seront là qu'en qualité de témoins.

L’empire

de Miramax à The Weinstein Company

Dylan Teuns

Beaucoup d'accusations contre Harvey Weinstein datent des années 90 ou du début des années 2000, les grandes années de Miramax, le studio qu'il créa en 1979 avec son frère cadet Bob (Mira pour leur mère Miriam, Max pour leur père): après "Sexe, Mensonges et Vidéo" de Soderbergh, encensé par la critique en 1989, Miramax produit le premier succès de Tarantino, "Pulp Fiction" (1994) puis "Le Patient anglais" (1997, neuf Oscars) ou "Shakespeare in Love" (1998, sept Oscars).

Les frères Weinstein revendent Miramax à Disney dès 1993, mais y travaillent jusqu'en 2005, année où ils lancent The Weinstein Company, qui produira encore de grands succès comme "Inglourious Basterds" de Tarantino (2009), "Le Discours d'un roi (2010) ou "The Artist" (2011).

De 1990 à 2016, le producteur, surnommé "Harvey les ciseaux" pour ses interventions féroces au montage, décrocha 81 fois les célèbres trophées d'Hollywood. Lors de la cérémonie des Golden Globes en 2012, Meryl Streep le qualifia, en riant, de "Dieu".

Aujourd'hui, s'il inspire Hollywood, c'est comme personnage maléfique: un thriller inspiré du scandale, "The Assistant", sort fin janvier et au moins un autre est en gestation, produit par Brad Pitt, sur les deux journalistes du New York Times qui ont révélé le scandale.

Un temps, sa fortune était évaluée entre 240 et 300 millions de dollars, et il contribuait généreusement aux campagnes de candidats démocrates, dont Barack Obama et Hillary Clinton.

Si ses avocats ont obtenu un pré-accord de 25 millions de dollars pour solder la plupart des plaintes déposées contre lui au civil, sans qu'il ait à dépenser un centime, l'argent lui file désormais entre les doigts. Il a vendu depuis deux ans cinq de ses propriétés, pour 60 millions de dollars, selon l'accusation.

La Weinstein Company a disparu: mise en faillite, ses actifs ont été rachetés par le fonds d'investissement Lantern.

Un procès

suivi dans le monde entier

Peter Sagan

"Il est clair que ce sera le procès pénal le plus en vue aux Etats-Unis", qui "sera suivi dans le monde entier", a résumé Gloria Allred, avocate de Mimi Haleyi et de l'actrice Annabella Sciorra.
Si Harvey Weinstein est devenu un paria pour l'opinion depuis deux ans, l'accusation est loin d'être assurée d'obtenir la condamnation de celui qui fut le producteur indépendant le plus puissant du monde. Bien avant l'ouverture du procès, censé durer environ six semaines, les avocats du sexagénaire ont tenté de saper les témoignages des deux victimes présumées.
La défense a ainsi déjà produit courriers électroniques et textos montrant qu'elles étaient chacune restées en contact avec leur agresseur présumé plusieurs mois après les faits supposés. Ces échanges "vous amèneront à penser que les faits rapportés jusqu'ici ne sont qu'une partie de l'histoire", affirmait en juillet l'avocate Donna Rotunno chargée de défendre M. Weinstein.
En face, l'accusation a obtenu, outre Annabella Sciorra, de pouvoir faire témoigner trois autres victimes présumées d'Harvey Weinstein, pour pouvoir brosser le tableau d'un prédateur sexuel insatiable. Le producteur a admis des "erreurs" et être en prise à des "démons" intérieurs, mais il a toujours affirmé que ses relations sexuelles étaient toutes consenties.
Il a déclenché un tollé mi-décembre en s'indignant, dans un entretien au New York Post, de ne pas être reconnu comme un pionnier de la promotion des femmes à Hollywood. "Les jurés et le juge sont censés ignorer tout ça", explique Joseph Cabosky, professeur à l'université de Caroline du Nord, "mais on sait très bien que c'est impossible".

Des juristes

expérimentées

Dylan Teuns

Joan Illuzzi-Orbon, la procureure

Adjointe du procureur de Manhattan Cyrus Vance, elle mènera l'accusation lors du procès, forte de plus de trois décennies d'expérience. Avant le début du procès, elle a obtenu le relèvement de la caution de l'accusé, qu'elle accusait de prendre des libertés avec sa surveillance électronique. Elle dirigeait en 2011 l'équipe qui enquêtait sur Dominique Strauss-Kahn et l'incident du Sofitel. Elle avait recommandé l'abandon des poursuites, finalement acté, contre le directeur du Fonds monétaire international.

Donna Rotunno, cheffe de file des 5 avocats de la défense

Cette avocate de Chicago est connue pour avoir défendu plusieurs hommes accusés d'agression sexuelle et pour sa pugnacité. "Quand j'interroge quelqu'un à l'audience, je peux aller beaucoup plus loin qu'un homme avocat", a-t-elle déclaré à la revue Chicago Magazine en février 2018. "Ce peut-être un excellent avocat, mais s'il lâche le même venin que moi, il aura l'air d'une brute".

Des expertes

de chaque côté

Philippe Gilbert

Barbara Ziv

Spécialiste en psychiatrie citée par l'accusation, ce médecin a témoigné lors du procès de Bill Cosby. Elle y avait expliqué les raisons qui poussaient souvent les victimes d'agression sexuelle à attendre parfois des années pour parler de ce qu'elles ont subi.

Deborah Davis et Elizabeth Loftus

Expertes de la défense: ces deux spécialistes en psychologie ont travaillé sur les troubles de la mémoire chez les personnes qui se disent victimes d'agression sexuelle.

Les grandes dates

de l'affaire

Philippe Gilbert

2017

Octobre: révélations, excuses et démenti

Le 5 octobre, le New York Times publie de nombreux témoignages de femmes accusant Harvey Weinstein de harcèlement sexuel pendant près de trois décennies, et révèle qu'il a passé des accords avec au moins huit femmes, achetant leur silence sur leurs accusations. Le producteur réagit en "s'excusant sincèrement" pour "sa conduite passée" et se met en congé de la société de production qu'il dirige avec son frère Bob, The Weinstein Company. Cinq jours après, le magazine The New Yorker cite plusieurs femmes, dont l'actrice italienne Asia Argento, accusant le producteur de viol ou d'agressions sexuelles.
Le 14 octobre, M. Weinstein est exclu de l'Académie du cinéma qui remet les Oscars, sanction rarissime. Les témoignages se multiplient contre le producteur et contre d'autres célébrités, du cinéma, de la télévision ou de la mode.

2018

Mai: première inculpation

Le procureur de Manhattan inculpe M. Weinstein le 25 mai pour un viol à New York en 2013 - sur une femme dont l'identité n'a pas été révélée - et une agression sexuelle en 2004 sur Lucia Evans, alors aspirante actrice.

Juillet: nouvelle accusatrice

Le 2 juillet, l'accusation ajoute trois chefs d'inculpation pour un "acte sexuel forcé" datant de juillet 2006, sur une troisième femme identifiée comme Mimi Haleyi, ex-assistante de production. Harvey Weinstein fait face à six chefs d'inculpation et risque la perpétuité.

Octobre: chef d'inculpation abandonné

L'avocat de M. Weinstein obtient l'abandon du chef d'inculpation concernant Lucia Evans, décrédibilisée après qu'il s'avère qu'elle avait confié à une amie avoir accepté de faire une fellation au producteur en échange d'un rôle.

2019

Janvier: changement d'avocats

M. Weinstein se sépare de Ben Brafman, et embauche deux autres avocats de haut vol. Ils ne garderont le dossier que six mois, avant de passer la main à l'équipe actuelle, emmenée par une avocate de Chicago, Donna Rotunno.

Août: nouvel acte d'accusation

L'acte d'accusation est encore modifié, pour inclure les allégations d'Annabella Sciorra, actrice de la série "Les Soprano", qui affirme avoir été sexuellement agressée par M. Weinstein en 1993 à Manhattan. Si les faits sont prescrits, ils permettent au procureur d'étayer le chef d'inculpation de comportement sexuel "prédateur", qui implique des agressions à répétition et est punissable de la perpétuité.

Décembre: accord sur les plaintes au civil

Le 11 décembre, des médias américains annoncent qu'un accord de principe a été trouvé pour solder les attaques de plus d'une trentaine de femmes devant la justice civile, moyennant le paiement de quelque 25 millions de dollars par les assureurs de M. Weinstein. L'accord, qui ne mentionne aucune reconnaissance de culpabilité de M. Weinstein, doit encore être validé par un juge et a été dénoncé par certaines victimes supposées. Il n'affecte pas le dossier pénal.


Crédits

  • Journaliste : Arnaud Wéry avec AFP
  • Illustrations : Sébastien Cattalini
  • Développeur : Géraldine Ducat
  • Date de publication : 6 janvier 2020