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31 ans après Tchernobyl

L'accueil des enfants en Belgique plus que jamais nécessaire

Il fait 23 degrés dans la ville de Braguine. Le ciel est bleu, les arbres bourgeonnent avec un peu de retard, les corneilles se font entendre... Un lieu au demeurant anodin sauf qu'un mal invisible a rongé et ronge encore. A quelques kilomètres de la centrale de Tchernobyl, cette contrée à la frontière entre l'Ukraine et la Biélorussie s'est retrouvée dans le nuage, voici 31 ans, jour pour jour. Depuis, le centre-ville a été détruit, on a raclé 30 centimètres de terre et on a reconstruit. La contamination n'est plus dans l'air mais bien dans la terre et contamine encore. Les familles les moins aisées chassent, pêchent, ramassent des champignons, cultivent un potager... et s'empoisonnent à petit feu, développant encore, en 2017, cancers, maladies nerveuses et psychiques, arriérations mentales, modifications génétiques héréditaires...

« On reste dans une situation d'urgence »

31 ans, cela semble loin, et pourtant l'accueil d'enfants chez nous durant l'été reste plus que nécessaire. L'appel à la solidarité nationale avait été lancé en 1990. En 1991, la Belgique accueillait les premières jeunes victimes, avec un pic de quelques centaines en 1994.

Depuis, le nombre de familles d'accueil ne cesse de baisser. Il est aux alentours d'une cinquantaine, à quelques jours de boucler les inscriptions. « Cela diminue continuellement. Notre combat de tous les jours est de convaincre qu'on reste dans une situation d'urgence, trente ans après l'explosion du réacteur, et qu'il est nécessaire d'encore trouver des familles en Belgique pouvant accueillir un enfant » résume l'ASBL Les enfants de Tchernobyl que nous avons donc suivi durant quelques jours, directement en Biélorussie où 70% des particules de l'explosion sont retombées.

L'occasion de les voir aller sur le terrain afin de parfaire leurs connaissances de la situation auprès de spécialistes, de constater que l'Ukraine et la Biélorussie sont toujours dans le déni malgré les faits avérés (l'aide des pays extérieurs est autorisé mais il est interdit de faire le lien entre les maladies et la catastrophe, le très officiel et éloquent « Comité de minimisation des problèmes de la catastrophe de Tchernobyl » veille au grain auprès du Conseil des Ministres de la République Biélorusse !) L'ASBL est également allée à la rencontre des familles qui envoient leurs enfants chez nous. « Ces papas et ces mamans nous confient leurs petits bouts contaminés : aller les voir est aussi l'occasion de les rassurer, de dire qu'ils sont entre de bonnes mains. »

Au cœur de Liudvinovo,
terre perdue parmi d'autres

Il a fallu du temps pour que la catastrophe du 26 avril 1986 soit annoncée au peuple. On a d'ailleurs préféré lui laisser célébrer le 1er mai en plein air avant de l'évoquer en y mettant les formes, en expliquant que certains villages devaient être évacués « provisoirement ». Les populations ne sont finalement jamais revenues vivre dans les maisons les plus proches…

C'est le cas de Liudvinovo que nous avons visité, à moins de 30 kilomètres de la centrale. On n'y entre pas comme cela, il nous a fallu obtenir des autorisations. Sur la carte représentant la dispersion du nuage, le village est forcément dans la zone rouge écarlate !

L'endroit est aussi fascinant qu'effrayant : situé au bout d'une longue route où des panneaux indiquent l'entrée dans une zone fortement contaminée, l'espace est baigné par le soleil. Le silence est entrecoupé de chants d'oiseaux. La nature y a repris ses droits. Quelques pans de murs en briques tiennent encore debout mais la majorité des maisons de bois sont au sol.

A proximité, un gros trou rappelle que les liquidateurs aménageaient aussi des fosses afin d'y jeter mobilier, accordéons, vêtements mais aussi bétail contaminé... On y poussait également des maisons entières à l'aide de pelleteuses !

A proximité, un gros trou rappelle que les liquidateurs aménageaient aussi des fosses afin d'y jeter mobilier, accordéons, vêtements mais aussi bétail contaminé... On y poussait également des maisons entières à l'aide de pelleteuses !

Une fois par an au cimetière

D'ici quelques années, ce ne sera plus qu'une morne plaine. Les quelques stigmates auront définitivement disparu mais les souvenirs perdureront : un peu à l'écart du site se trouve un cimetière visiblement encore bien entretenu, avec des pierres tombales sur lesquelles des dates de décès récentes sont encore gravées. On n'oublie jamais d'où l'on vient et, aujourd'hui encore, certains souhaitent y reposer éternellement. Quant aux familles, elles sont autorisées à venir s'y recueillir un seul jour par an…

Un fauteuil pour vérifier la contamination

A moins d’une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau de la centrale se trouve la ville de Khoiniki. Sa population a été totalement immergée dans le nuage radioactif, en 1986, et la santé de ses 13.000 habitants est tenue à l’œil.

L’Avenir a été invité à suivre l’un des contrôles dans une école.

Dans un couloir, les jeunes attendent sur un banc en compagnie d’une infirmière. Ils font face à une classe transformée pour l’occasion en un espace de contrôle éphémère. L’institut indépendant de radioprotection Belrad y a installé un fauteuil au demeurant rudimentaire. Son aspect rassurant cache pourtant en son sein un puissant cristal qui permet de mieux scanner l’appareil digestif voyant transiter la nourriture contaminée et permet de connaître le nombre de Becquerels au kilo.

Un pic élevé en 2015 dans l’école
qu’il a fallu gérer

Ce matin-là, une cinquantaine de jeunes y a pris place en deux heures de temps. Un par un, garçons et demoiselles entrent. Ils passent d’abord sur la balance avant de s’asseoir sur le fauteuil.

En deux minutes, le nombre de Becquerel par kilo est connu. Au-delà de 20 Bq/kg, la situation est inquiétante. « Le précédent contrôle avait été réalisé, voici deux ans. On avait alors constaté un taux considérablement élevé chez nos jeunes, jusqu'à 50 Bq/kg ! » précise la directrice. Les moins irradiés ont fait une cure de pectine très efficace sous forme de gélules, les plus contaminés sont partis 24 jours en sanatorium, sur un territoire propre. « En réaction, nous avons aussi décidé de ne plus servir de produits locaux. C’est plus cher mais nous sommes au moins sûrs de la qualité des aliments, continue la directrice qui recevra les résultats dans les deux semaines. De la pectine sera à nouveau administrée à celles et ceux qui ont un résultat inquiétant et Belrad reviendra dans un mois vérifier les effets. Cela se fait toujours en deux vagues. » Précisons que d'autres organismes possèdent aussi des moyens mobiles, comprenez un véhicule avec le fauteuil permettant d'aller effectuer des tests auprès de populations en villages reculés.

Ce contrôle est également réalisé auprès de jeunes qui viennent en Belgique durant l’été. Le taux est mesuré avant le départ et au retour, affichant souvent une chute vertigineuse de la contamination. « Les résultats sont toujours éloquents ! C’est en voyant Belrad travailler sur le terrain qu’on peut être convaincants en Belgique : 30 ans après la catastrophe, on sait à quel point il est encore important d’accueillir des enfants » insiste Claire en charge avec son mari de l’accueil dans la partie hennuyère de notre pays.

Aucun lien entre Tchernobyl et les cancers !

Ces contrôles nécessitent une organisation importante puisque Belrad ne dispose à la fois pas d’une masse importante de ces sièges coûteux ni du personnel en nombre suffisant. « C’est un travail d’organisation important mais on essaie de partir toutes les semaines mesurer le Césium 137 présent dans les muscles et les organes des enfants. Le taux de contamination n’est pas pareil dans tout le corps et c’est forcément au niveau de l’appareil digestif qu’il est le plus juste. Le potassium est également mesuré car, plus il est élevé, plus il ne permet pas au Césium radioactif de prendre place dans le corps », continue un responsable de l’institut indépendant au cœur d’un pays où il n’est toujours pas autorisé de dire que les cancers découlent de la catastrophe, indiquant qu’en Europe aussi, nous avons des cancers et qu’il n’est pas toujours possible de les expliquer. Le déni a encore de beaux jours devant lui ! « Le ministère de la Santé nous surveille. Il est d’accord pour que nous contrôlions les enfants mais on ne peut pas faire de lien avec Tchernobyl. » C’est la raison pour laquelle une copie de tous les résultats est toujours transférée en France, pour être sûr qu’une trace subsiste quelque part dans le monde. On en est encore là, en 2017…

Comment aider les enfants de Tchernobyl

L’accueil chez nous durant un mois permet aux enfants de se changer les idées mais pas uniquement. « Un enfant capte quatre fois plus d'éléments radioactifs qu'un adulte. Le faire venir en juillet ou en août, en Belgique, dans un environnement sain, lui permet d'évacuer 30% du Césium radioactif toujours présent dans la terre puisqu'il a une durée de vie de 300 ans. » Et il ne se transmet pas entre humains... « Il est toujours nécessaire de rassurer les familles d'accueils, ce que nous faisons avec plaisir tout au long de l'année. »

Concrètement, ce sont des enfants entre 8 et 12 ans qui peuvent être accueillis pour la première fois dans une famille belge et qui pourront continuer à venir dans ce même cocon jusqu'à leur majorité si le courant passe bien. Si cet accueil enrichissant pour l'enfant comme pour votre famille vous intéresse, prenez rapidement contact avec Les enfants de Tchernobyl qui répondra à toutes vos questions.

Les inscriptions des familles d'accueil se clôturent à la fin de la semaine.

0497 118 180www.enfants-de-tchernobyl.be

Un webdoc réalisé par
Journaliste : Thomas TURILLON | Photos : Thomas TURILLON & EPA | Vidéos : Thomas TURILLON | Webmaster : Kevin ROLIN